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L’administration pro-active au service de l’autonomie des usagers en insertion

Cet article est inspiré d’une conférence réalisée le jeudi 19 octobre 2023 à l’événement Numérique en Commun[s] au Palais de la Bourse de Bordeaux par Amaury Dubot et Claire Casubolo du GIP Plateforme de l’inclusion et qui s’intitulait “Comment les données peuvent être mises au service d’un accompagnement effectif des usagers en insertion ?”.

Depuis plus de deux ans, notre équipe a eu l’occasion de montrer qu’une action publique volontariste en faveur de données fiables et exhaustives - en l’espèce des données de contact d’allocataires du revenu de solidarité active (RSA) -, d’une part, et qu’un service de prise de rendez-vous responsabilisant la personne, d’autre part, offraient toutes les clés au service public de l’emploi pour améliorer la qualité et le nombre d’accompagnement d’usagers en insertion.

Qui sommes nous ? Pourquoi intervenir sur les parcours RSA ?

Nous travaillons pour le groupement d’intérêt public la Plateforme de l’inclusion qui réunit près d’une centaine de personnes œuvrant au plus près des professionnels de l’inclusion (agents des conseils départementaux, Pôle emploi, missions locales, structures d’insertion par l’activité économique - IAE, associations, CCAS, etc.) et des usagers (bénéficiaires du RSA, salariés de l’IAE, demandeurs d’emploi, etc.).

Nous sommes engagés dans des cycles courts de développement fonctionnel et nos produits sont codés sur la base d’une itération régulière avec nos utilisateurs. Ces derniers nous ont rapidement alerté sur les nombreuses difficultés organisationnelles qui émaillaient le parcours des allocataires du RSA et nous avons ainsi décidé de lancer des expérimentations sur ce sujet. Plus particulièrement, nous avons créé :

  • Ce qui s’apparente partiellement à un “commun numérique” : un nouveau flux vertueux de données de coordonnées de contact, élaboré en lien avec la Caisse nationale d’allocations familiales (CNAF) ;
  • Un “service numérique” accessible aux conseils départementaux : l’application rdv-insertion, aujourd’hui utilisée dans 25 départements français.

Le point de départ : le service public de l’insertion ne parvient pas à gérer efficacement les parcours des bénéficiaires, ce qui a de lourdes conséquences pour ces derniers

À l’issue de leur demande de RSA sur le site caf.fr, les nouveaux bénéficiaires sont soumis aux “droits et devoirs” : s’ils reçoivent une allocation, ils doivent également s’engager dans un programme d’accompagnement - adapté à leur profil socio-professionnel - que leur garantit le Conseil départemental, la collectivité territoriale en charge de l’accompagnement des bénéficiaires.

L’une des premières étapes, réalisée par le Conseil départemental, est de procéder à “l’orientation” des usagers vers une modalité de parcours (orientation “professionnelle” si l’usager a vocation à être accompagné par Pôle emploi, orientation “sociale” si l’usager est destiné à un accompagnement par un travailleur social ou “socio-professionnelle”, le plus souvent auprès de délégataires du département). Cette étape d’orientation est cruciale :

  • Elle garantit à l’usager de trouver rapidement un parcours adapté à sa situation qui lui permettra, en lien avec son futur “référent unique” (sorte de médecin généraliste de l’insertion), de résoudre ses difficultés (problématiques financières, administratives, de santé, de logement, de mobilité, etc.) afin que lesdits “freins” ne s’aggravent d’avantage ;
  • L’absence à un rendez-vous conduit souvent à un risque de suspension du droit RSA, une allocation pourtant cruciale pour ces usagers, notamment dans leur sortie vers l’emploi (par exemple, pour payer un transport et se rendre à une formation ou bien à un entretien d’embauche).

Or, en pratique, cette étape d’orientation des bénéficiaires du RSA donnait lieu à de nombreux dysfonctionnements :

  • Une enquête de la DREES de 2020 faisait ainsi état d’un délai moyen national de 95 jours entre la date d’entrée dans le RSA et celle de l’orientation vers un parcours d’insertion. Les usagers restaient ainsi plus de trois mois sans l’aide d’un professionnel de l’insertion ;
  • Les travaux nationaux conduits par le ministère du Travail, du Plein Emploi et de l’Insertion dans le cadre du SPIE en 2019-2020 ont montré que la majorité des Conseils Départementaux rencontraient un taux d’absentéisme de plus de 50% à ces rendez-vous.

Notre compréhension du problème : des données lacunaires sur les usagers et des processus de convocation datés

Nous avons réalisé de nombreux échanges avec les acteurs de l’insertion concernés et avons établi qu’il y avait principalement deux explications à ces dysfonctionnements :

  • D’une part, les données de contact des allocataires étaient faiblement disponibles pour les Conseils Départementaux, remontaient mal dans le système d’information des départements et demeuraient rarement mises à jour - alors que les bénéficiaires doivent les renseigner lors de leur demande de RSA;
  • D’autre part, les modalités d’organisation des rendez-vous étaient peu responsabilisantes pour les personnes et reposaient en grande majorité - compte tenu notamment du problème susvisé - sur une convocation classique par courrier ayant de fortes chances de ne pas atteindre l’usager ou de viser un lieu / créneau horaire difficilement envisageable pour l’usager en raison, par exemple, de problématiques de transports publics ou de contraintes de garde d’enfants. La persistante de ces modalités de convocation postale était d’autant plus étonnante dans une société française habituée de façon croissante à des prises de rendez-vous autonomes et numériques (Doctolib ayant ainsi concerné 42,2 millions d’usagers en France en 2020).

Face à cette grille d’analyse de la situation, nous avons fait le pari que seules la mise en autonomie des usagers et la conduite d’une politique publique pro-active de l’administration étaient susceptibles de changer la donne pour les bénéficiaires du RSA confrontés à ces écueils.

Notre première action : fiabiliser les données de contact des allocataires au travers d’un nouveau “commun numérique”

Nous avons travaillé avec la CNAF pour mettre en place un nouveau flux de données “coordonnées de contact” qui n’existait pas avant fin 2021 et qui contient désormais l’ensemble des mails et téléphones de tous les bénéficiaires RSA, lesdites coordonnées étant notamment récupérées grâce à des démarches diverses sur le site de la caf.fr et qui ne concernent pas forcément le seul RSA (prime d’activité, PAJE, aides au logement). Les Conseils départementaux recevaient déjà une partie de ces données (et avaient le droit de les recevoir pour réaliser leur mission de service public concernant l’accompagnement des bénéficiaires)- cependant, le flux était difficilement exploitable par leurs systèmes d’information.

Plus précisément, nous avons découvert l’existence de solutions locales (dans les CAF) sur de tels échanges de données. Avec l’aide d’une interlocutrice à la CNAF, nous sommes parvenus à faire tourner une requête nationale. Le processus d’accès aux données, d’abord géré au niveau local puis national, a été simplifié grâce à la mise à disposition desdits fichiers de coordonnées aux conseils départementaux sur un espace étatique sécurisé : Hubee.

Ce nouveau flux vertueux de données de contact fait écho à ce qui est régulièrement qualifié de “commun numérique”, soit, en l’espèce, une norme de données utilisée par une multitude d’acteurs autorisés (ici les conseils départementaux), fiable et exhaustive, facilement accessible et découvrable sur un espace dédié et sécurisé pour les acteurs habilités (ici le site interministériel Hubee susvisé). Grâce à ce “commun” numérique, les services consommant ces données parviennent à mieux atteindre leurs usagers et à améliorer ainsi l’impact de leur politique publique. Il n’a pas été ici question de donner accès à des nouveaux acteurs aux données de contacts des bénéficiaires mais seulement de rétablir un accès “opérationnel” aux Conseils départementaux à ces données qu’ils étaient censés recevoir depuis plusieurs années. Ce “commun numérique” n’en est donc pas totalement un car le flux n’est accessible qu’aux structures habilités (les Conseils Départementaux).

Notre seconde action : mettre en place un “service numérique” consommant le nouveau flux et autonomisant les usagers

Notre équipe a créé une application numérique : rdv-insertion. En miroir de la notion précédente de “commun”, il s’agit ici d’un “service” numérique qui vient consommer les données du nouveau flux des données de contact des allocataires. Sur notre interface, les départements n’ont qu’à déposer un fichier contenant l’identité des nouveaux bénéficiaires du RSA appelés à s’engager dans un parcours et le nouveau fichier contenant leurs coordonnées de contact.

Notre solution permet à l’administration d’être proactive : les usagers sont invités par SMS et/ou courriel à prendre rendez-vous en autonomie sur le lieu et le créneau de leur convenance. Une fois le rendez-vous pris, ils bénéficient d’un SMS et/ou courriel de confirmation puis d’un rappel 48h avant le rendez-vous. Ils conservent par ailleurs la possibilité de déplacer ou d’annuler leur rendez-vous.

Ainsi responsabilisés, les usagers s’engagent dans leur parcours d’insertion de façon plus volontariste, à rebours de ce qu’induit la traditionnelle convocation, souvent mal vécue par les usagers et qui témoigne d’une relation verticale entre le public et l’administration, rarement efficace. Surtout, le système d’autonomie dans lequel s’engagent les bénéficiaires sur notre outil s’avère statistiquement positif et concluant (cf. nos statistiques) :

  • Seuls 10% des usagers sont absents aux rendez-vous lorsqu’ils ont été invités en autonomie ;
  • En moyenne, seulement 11 jours s’écoulent entre l’envoi de l’invitation et la prise de rendez-vous par l’usager, les délais étant ainsi considérablement réduits.

Et maintenant ?

Nous avons fait la preuve qu’une politique ambitieuse de fiabilisation et de circulation des données des usagers couplée à la mise en place d’un service numérique basé sur l’autonomie des personnes aboutissait à d’excellents résultats en termes de taux de présence, de délais d’insertion et, plus largement, d’amélioration de la relation entre le public et l’administration.

Forte des premiers résultats obtenus, notre équipe poursuit aujourd’hui le déploiement de cet outil rendant les usagers “acteurs de leur parcours”, notamment dans le cadre de la réforme dite “France Travail” auprès des conseils départementaux (un sur quatre, soit 25, utilise actuellement notre service numérique sur tout ou partie de l’accompagnement des personnes au RSA).

Amaury DUBOT et Claire CASUBOLO, GIP Plateforme de l’inclusion, décembre 2023.

Numérique en communs à Bordeaux